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Violences sexuelles dans l’athlétisme : “Le statut de victime est antinomique à celui de sportif”

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Quelques jours après les révélations du “Monde”, la présidente du comité Ethique & Sport, Véronique Lebar, pointe un domaine où l’omerta est plus ancrée que dans le reste de la société.

 

Six mois après l’éclatement de l’affaire Weinstein, l’omerta dans le monde du sport semble progressivement se briser. Il y a quelques jours, le journal “Le Monde” révélait l’existence de plaintes pour des violences sexuelles à l’encontre de deux entraîneurs d’athlétisme français de haut niveau. Si les deux affaires sont distinctes, elles témoignent de la difficulté d’écoute de la parole des femmes au sein des fédérations sportives.

“Non, il n’y a pas de loi du silence”, a réagi mardi dans les colonnes de “l’Equipe” Laura Flessel, la ministre des Sports. Pourtant, les témoignages sont rares. Difficile pour ces jeunes sportifs de se confier, au risque de voir leurs rêves de carrière disparaître sous leurs yeux. Véronique Lebar, présidente du comité Ethique & Sport, revient pour “l’Obs” sur l’omerta qui existe dans le monde sportif, où briser le silence n’est pas sans conséquences.

Existe-t-il une omerta propre au domaine sportif ?

Oui, bien entendu. D’abord, parce que tous les sportifs connaissent la règle implicite de Pierre de Coubertin : “plus vite, plus haut, plus fort”. Il y a vraiment une logique de dépassement de soi, quel qu’en soit le prix, qui est intégrée. Le statut de victime est antinomique à celui de sportif, qui veut systématiquement être dans la performance et non dans la vulnérabilité.

Si un ou une sportive reconnaît les faits d’harcèlement, alors elle admet implicitement son statut de victime et n’arrive plus à appartenir à ce milieu. Ensuite, tous domaines confondus, il y a 40% de victimes qui s’enferment dans le déni pour continuer à vivre normalement. Les victimes préfèrent l’enfouir tout au fond d’elles-mêmes à cause des nombreuses conséquences psychologiques qui en découlent.

Enfin, Paris a obtenu les Jeux 2024, donc il y a une phase de sélection qui se déroule en ce moment. Les fédérations et les institutions n’aiment pas qu’on salisse leur réputation donc elles ont moins tendance à écouter ce genre de problèmes, ce qui explique que les témoignages mettent plus de temps à remonter.

Le sport est-il un domaine plus concerné par le harcèlement sexuel que le cinéma ?

Le rapport Décamps réalisé en 2009 [étude des violences sexuelles dans le sport en France, NDLR] montre que les jeunes sportifs sont deux fois plus exposés aux violences sexuelles que les jeunes non sportifs. Le sport a un rapport beaucoup moins tabou au corps : il est normal, voire utile de se toucher dans certaines disciplines.

En outre, il est toléré de demander à un sportif de se déshabiller pour voir s’il n’a pas grossi. Il y a donc des ambiguïtés qui permettent à des prédateurs sexuels de franchir la limite. La victime ne sait pas si le geste est maladroit ou s’il y a agression. Le fait est qu’il y a cette habitude propre au sport d’être tout le temps ensemble dans le cadre des stages par exemple.

Justement, c’est à l’occasion d’un stage que l’une des victimes aurait subi une agression de la part de son entraîneur Giscard Samba…

Si les faits sont avérés, c’est la représentation classique de ce qu’il se passe entre un agresseur présumé et sa victime. Très souvent, les sportives et sportifs victimes se trouvent en situation de fragilité au moment des événements, parce qu’ils sont éloignés de leurs parents, ou ils sont stressés vis-à-vis d’une compétition. Et d’ailleurs, à partir du moment où on est jeune, on fait plus confiance à l’adulte, on est certainement plus naïf aussi, face à un entraîneur qui revêt le rôle légal et symbolique de substitut parental.

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Pourquoi ces sportifs(ves) ne parlent pas ?

Dans le cas des violences sexuelles, ce sont très souvent des jeunes filles qui sont sous l’emprise totale d’un entraîneur ou d’un cadre sportif et communément pendant assez longtemps.

“L’emprise”, peut être définie comme étant une difficulté à agir par rapport à ses propres désirs et envies. Il y a indéniablement une forme d’admiration qui rentre en jeu envers l’agresseur et la figure de la personne qui l’exerce est toute puissante. La victime est alors pétrifiée par l’horreur qu’elle vient de subir et n’arrive plus à réagir. Si elle essaye d’en parler ou de se défendre, elle n’est pas crue. Et si c’est le cas, il y a une volonté de la part de l’entourage de banaliser les faits, pour empêcher de bouleverser une institution.

Il ne faut pas oublier que les victimes risquent l’exclusion du groupe sportif ou la non-sélection. Dans le haut niveau, leurs objectifs sont mis à mal : ils risquent leur carrière dès lors qu’ils dénoncent ces faits. Mais les témoignages, même anonymes, sont très importants. Cela montre à toutes les victimes qui n’osent pas parler qu’elles ne sont pas seules.

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